Stéphane, pouvez-vous nous raconter le parcours qui vous a mené à fonder l'École de théâtre l'Éponyme ?
Plus jeune, je rêvais de devenir inventeur, mais faute de réelle opportunité dans ce domaine, je décide de me tourner vers un métier qui existe vraiment : la recherche. A l’issue d’une prépa scientifique, j’intègre l’école d’ingénieur de Chimie de Mulhouse, puis je poursuis avec un troisième cycle en gestion de l’innovation à Centrale Paris. Je travaille ensuite pendant sept ans comme chercheur à la Générale des Eaux.
Cependant, la recherche ne répond pas entièrement à mon désir d’invention. Je me réoriente alors vers le web, devenant chef de projet. Mais en 2001, la bulle internet éclate, le travail se tari, et je saisis cette occasion pour explorer mes passions pour l’improvisation théâtrale et la pédagogie. Je suis une formation de comédien, une expérience qui me captive au point de créer ma propre école de théâtre : l’Éponyme.
L’idée de créer une école de théâtre a germé durant mes années d’études, où la qualité de certains cours plus passionnants que d’autres m’a amené à réfléchir aux méthodes d’enseignement. Mon intérêt pour le théâtre et la pédagogie s’est ainsi développé naturellement. Après le bac, j’ai assisté à un spectacle d’improvisation théâtrale qui m’a fasciné. Je me suis alors lancé dans cette discipline en amateur et j’ai rapidement animé des ateliers d’improvisation dans des écoles d’ingénieurs.
Des amis m’ont conseillé de suivre une formation de comédien pour enrichir mes compétences, ce que j’ai fait avec enthousiasme. Cette formation m’a révélé le plaisir que peut offrir une école de théâtre et m’a décidé à créer l’école.
Comment décririez-vous l'approche pluridisciplinaire unique de l'Éponyme, et pourquoi pensez-vous qu'elle est essentielle pour la formation des comédiens aujourd'hui ?
J’ai conçu le programme de l’Éponyme comme si je voulais en être élève, en regroupant toutes les matières que j’estimais essentielles à une bonne formation de comédien :
Le théâtre ne peut pas se faire par transmission de pensée ; le corps et la voix sont indispensables à l’expressivité scénique. La base de l’enseignement devait donc inclure les 3 matières que sont le théâtre, le chant et la danse durant toute l’année. Les ateliers trimestriels ont pour fonction de compléter cet enseignement de base :
En 1ère année, avec des matières utiles à l’épanouissement des comédiens
- L’histoire du théâtre et la découverte des auteurs pour apporter un minimum de culture théâtrale.
- Le training et l’improvisation pour apprendre à travailler seul et cultiver son imagination
- La respiration et la diction pour être endurant et audible
- Le jeu devant la caméra pour jouer dans les films
En 2ème année, les ateliers trimestriels sont plus tournés vers la professionnalisation :
- La préparation aux concours pour décrocher un conservatoire national
- L’écriture, la mise en scène et la conduite de projets artistiques pour créer ses propres projets
- Le doublage pour avoir une corde en plus à son arc.
Auxquels s'ajoutent des ateliers découvertes, qui comme leur nom l’indique, permettent de découvrir d’autres matières artistiques (clown, masque, mime, conte, marionnettes...)
Pouvez-vous nous expliquer comment votre expérience en recherche scientifique et ensuite en web a influencé votre vision et votre méthode d'enseignement à l'Éponyme ?
Mon passé de chercheur m'a amené à développer la créativité et l'autonomie des élèves de l'école, essentiellement par la création de projets personnels :
En 1ère année, les élèves doivent créer une forme libre de 30 mn pour laquelle ils sont encouragés à inventer une nouvelle forme théâtrale. Cela les pousse à se questionner sur la recherche théâtrale et sur ce qui a déjà été fait, en se basant sur leur cours d'histoire du théâtre.
En 2ème année, les élèves doivent monter un spectacle d'une heure en petits groupes autonomes; Durant ma formation d'ingénieur, je me rappellerai toujours de ce TP de chimie où nous avons trouvé un Post-it sur notre paillasse qui disait juste : Faire une pile électrique Cuivre/Zinc et le prof s'est absenté. C'est un peu ce que je leur demande à l'école, ça les fait grandir d'un seul coup.
Le web m'a amené à enseigner aux élèves la lisibilité de leurs tableaux scéniques. La composition d'un site web, tout comme la composition d’un tableau de maitre, offrent une bonne analogie de ce qu’il faut viser sur un plateau de théâtre. Si la scène est illisible, le public est déçu et il décroche, tout comme on change de site web.
Quels sont les défis principaux que vous avez rencontrés en créant cette école de théâtre et comment les avez-vous surmontés ?
Le premier défi a été de mener de fronts plusieurs apprentissages, comme la gestion administrative d'une école, la connaissance du milieu artistique, la communication via les réseaux sociaux, dont certains sortent de mes zones de confort.
Le second défi a été de naviguer dans un monde d'egos plus forts que ceux des ingénieurs. Cela m'a demandé de développer des qualités relationnelles, d'affirmation et de patience.
L'Éponyme met beaucoup l'accent sur le bien-être et l'épanouissement des élèves. Quelles sont les actions concrètes mises en place pour garantir ce cadre bienveillant ?
Le principal outil pour garantir un cadre bienveillant est l'instauration de retours mutuels entres professeurs et élèves. Les professeurs conseillent et accompagnent les élèves dans leur progression tandis que les élèves donnent aux professeurs un retour sur les apports de leur pédagogie. Ce principe de base incite les enseignants à être à l'écoute de leur groupe et les motive à se perfectionner régulièrement.
En outre, la satisfaction des élèves est régulièrement mesurée et ils peuvent proposer de prolonger les ateliers les plus appréciés.
Vous proposez des stages d'été gratuits. À votre avis, en quoi ces stages représentent-ils une opportunité unique pour les passionnés de théâtre ?
Je me suis aperçu que ces stages gratuits de par leur régularité et leur renouvellement chaque été donnait le temps et le courage nécessaire aux plus réservés de s'inscrire. Beaucoup de personnes attirées par le théâtre se sentent illégitime d'en faire. Cela peut venir de leur culture, de leur âge, de leur isolement. Beaucoup de personnes s'inscrivent 3 ou 4 fois à ces stages gratuits avant d'oser venir. Ces stages gratuits leur laisse le temps de maturation nécessaire pour sauter le pas et enfin s’ouvrir à leur passion.
Comment voyez-vous évoluer l'Éponyme dans les prochaines années, en termes de pédagogie et d'influence dans le monde du théâtre ?
L'école existe depuis 20 ans, les 10 premières années ont été celles de la création de l'école, des erreurs de jeunesse et de leur correction. Les 10 suivantes, celles des perfectionnements et de la pérennisation de la formation. Les 10 prochaines seront celles de la verticalité, par l'approfondissement de l'enseignement et l'élévation des élèves pour transmettre une humanité dont manquent certains pans de notre société.